«Président des riches»

Fiscalité du capital : surprise, la réforme Macron a profité aux actionnaires

Le prélèvement forfaitaire unique de 30% et le remplacement de l’ISF par un impôt sur la fortune immobilière ont encouragé le retour d’une poignée d’exilés fiscaux. Mais selon le rapport d’évaluation de France Stratégie, ces allégements sur la fiscalité des plus riches ont surtout profité aux actionnaires-propriétaires qui se sont pris de passion pour les dividendes, moins imposés que les salaires.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 14 octobre 2021 à 13h00

C’est l’une des grandes œuvres économiques du quinquennat Macron, l’une des plus contestées aussi, qui lui a valu le sobriquet de «président des riches» : à l’automne 2017, la réforme de la fiscalité du capital instaurait un prélèvement forfaitaire unique (PFU, ou «flat tax») de 30 % sur les revenus concernés et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en un simple impôt sur la fortune immobilière (IFI). Quels ont été les effets concrets de ces décisions ? Dans son troisième rapport sur le sujet, présenté ce jeudi, France Stratégie, organisme d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon mais dont l’indépendance et le sérieux sont reconnus, apporte plusieurs réponses et laisse planer des interrogations : la réforme a encouragé le versement de dividendes par les entreprises à leurs actionnaires-propriétaires, avec un impact sur l’économie réelle très incertain, voire nul.

Ce programme d’allègement fiscal a eu le mérite de faire revenir des foyers riches à la maison, ravis de retrouver un niveau d’imposition qui leur convenait. C’est a priori une bonne nouvelle, car les patrimoines et capacités financières qu’ils déplacent avec eux sont susceptibles d’accroître l’activité économique. «Depuis le passage de l’ISF à l’IFI, on observe une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés», écrit France Stratégie, qui dénombre 340 retours de foyers taxables à l’IFI en 2019 pour 280 départs. Comme en 2018, le solde est positif. Il était négatif lorsque l’ISF prévalait encore (470 retours en 2016, pour 1 020 départs). C’est l’effet Macron : il est au moins le président aimé des riches. Attention, toutefois, à ne pas s’emballer. Ces mouvements sont infimes à l’échelle générale, puisque 130 000 contribuables étaient assujettis à l’IFI en 2019.

24 milliards d’euros de dividendes

L’effet le plus notable de cette réforme concerne le versement des dividendes, qui a considérablement augmenté dès 2018 et se maintient à haut niveau depuis. En figeant une taxation de 30 % quel que soit le niveau des revenus concernés, le PFU a libéré une passion pour les dividendes dans les entreprises. C’est particulièrement vrai dans les sociétés non cotées, détenues par des propriétaires individuels : pourquoi un patron-actionnaire choisirait-il de se rémunérer en salaires imposables jusqu’à 45 % quand il peut se gâter en dividendes imposables à 30 % ? En 2020, cette forme très particulière de rétribution déclarée par les ménages a atteint 24 milliards d’euros. Sous la mandature de François Hollande, qui avait décidé de taxer ces revenus comme ceux du travail, elle naviguait autour de 13 ou 14 milliards d’euros selon les années.

Sans surprise, cette augmentation des dividendes profite à une minorité d’autant plus concentrée de foyers – et l’on ne parle pas d’agriculteurs, d’ouvriers ou d’employés. D’après le comité d’évaluation de la réforme mis en place par France Stratégie, qui n’est pas composé d’anarcho-syndicalistes (les économistes Agnès Bénassy-Quéré, David Thesmar et Philippe Martin en font ainsi partie), 62 % de ces dividendes ont été perçus, en 2019, par 39 000 foyers français (soit 0,1 % des foyers), contre 53 % en 2017… «Parmi eux, 310 foyers ont enregistré une augmentation de plus de 1 million d’euros de leurs dividendes en 2018 et 2019 par rapport à 2017, et représentent à eux seuls une hausse de 1,2 milliard d’euros», relève France Stratégie. Le PFU d’Emmanuel Macron a donc rendu 310 familles particulièrement heureuses.

«Aucun effet sur l’investissement»

Les défenseurs de cette réforme la justifient par un argument clé : cette manne financière serait réinvestie dans l’économie réelle, déclenchant un cercle vertueux pour l’activité. Ce que l’on a tendance à résumer par le mot «ruissellement», impropre d’un point de vue académique. France Stratégie est plus que sceptique sur ce point : dans les entreprises concernées, «il n’y a aucun effet identifié sur l’investissement ou la masse salariale», observe Fabrice Lenglart, inspecteur général à l’Insee et président du comité d’évaluation. Le cercle vertueux promis par le chef de l’Etat ressemble à un carré bien anguleux. «C’est cohérent avec ce que dit la littérature économique», constate Fabrice Lenglart. Et avec l’expérience : le relèvement de l’imposition du capital par François Hollande en 2013 n’avait pas modifié les comportements.

A quoi ces dividendes tombés du ciel ont-ils pu servir alors ? «A ce stade, nous avons objectivement peu de réponses», répond le président du comité d’évaluation de France Stratégie, qui voit là un chantier d’étude à explorer. Cette étude sur la réforme de la fiscalité du capital est censée être faite tous les ans. La prochaine édition sera remise après l’élection présidentielle. En attendant, les «Macronomics» restent pleins de mystères, sauf sans doute pour ceux qui en ont profité directement.

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