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Tribune

ISF : l’impossible évaluation de la réforme

LE CERCLE - Il est très incertain et complexe de mesurer les effets macroéconomiques de la transformation de l'ISF en IFI, explique Michel Albouy. Selon ce professeur de finances, c'est le symbole politique qu'il faut apprécier.

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Par Michel Albouy (professeur de finance à Grenoble école de management)

Publié le 7 oct. 2019 à 09:28Mis à jour le 7 oct. 2019 à 09:33

Le 1er janvier 2018, le très symbolique impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était remplacé par un impôt sur la seule fortune immobilière (IFI). Exit l’imposition des valeurs mobilières (actions, obligations) et contrat d’assurance-vie. Avec cette réforme, les très grandes fortunes allaient être avantagées, tout au moins par rapport aux contributions qu’elles étaient amenées à payer.

Ce cadeau aux super riches, allait contribuer à faire d’Emmanuel Macron le «président des riches». Mal menée tout au long de la crise des «gilets jaunes», le président Macron avait annoncé lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019 : «Cette réforme sera évaluée en 2020 et, si elle n’est pas efficace, nous la corrigerons».

C’est le think tank France Stratégie, rattaché à Matignon, qui a eu la lourde charge d’estimer entre autres, l’impact de la réforme de l’ISF sur l’économie française. Rappelons-nous, cette réforme était censée «Favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation». Vaste programme selon la lettre de mission de Matignon de décembre 2018.

La conclusion des auteurs du rapport n’apporte aucune réponse précise : «L’observation des grandes variables économiques [...] avant et après les réformes ne suffira pas pour conclure de leur effet réel. En particulier, il ne sera pas possible d’estimer par ce seul biais si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises». Pouvait-il en être autrement ? Sûrement pas vu le faible poids financier de l’ISF dans la fiscalité globale des ménages et des entreprises.

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Un impôt mal ficelé

L'ISF rapportait 5,2 milliards d’euros soit environ 1,6 % des recettes fiscales nettes de l'État en 2007. Il concernait 2 % des contribuables, la très grande majorité dans les deux premières tranches (les petits riches). Compte tenu du mécanisme du plafonnement de l’impôt et de la non-imposition des biens professionnels, l’ISF touchait davantage les milliardaires que les millionnaires. Sans compter tous ceux qui choisissaient l’expatriation.

Comme de nombreux spécialistes le reconnaissaient, c’était un impôt mal ficelé qui faisait fuir les riches et à certains égards, injuste. Par exemple deux célibataires ayant un patrimoine chacun d’un million d’euros ne payaient pas d’ISF, alors qu’en se mariant ils devaient le payer, d’autres ayant des œuvres d’art étaient exemptés, etc. Il fallait donc le réformer. Avec sa transformation en IFI, l’Etat a perdu environ 3 milliards d’euros. Comparé aux 295,6 milliards d’euros de recettes fiscales enregistrées en 2017, il est clair que la perte de recettes liée à la transformation de l’ISF en IFI est une goutte d’eau. Mais pour les «gilets jaunes» c’était un cyclone politique.

> Lire aussi : Les cinq enseignements de la première évaluation

Compte tenu de la faiblesse des montants en jeu, il était prévisible qu’aucune réponse ne pouvait être donnée quant à l’impact supposé de la réforme sur les grandes variables économiques. Comme me le disait mon voisin, cadre supérieur, «avec l’IFI j’ai économisé 2.500 euros sur mon ISF. Avec cet argent j’ai fait quelques travaux et j’ai renforcé mon PEA». Comment mesurer l’impact de ces décisions sur l’investissement ?

Un patron d’une entreprise de taille intermédiaire me confiait récemment que grâce à la transformation de l’ISF en IFI, il n’avait pas eu besoin de distribuer de dividendes à ses actionnaires familiaux qui, étant assujettis à l’ISF du fait de la valeur de leur patrimoine en actions, avaient besoin de cet argent pour payer l’impôt. Ce faisant, il avait pu réinvestir les bénéfices de l’entreprise dans de nouveaux projets. Mais là encore, comment mesurer cette conséquence de la réforme si on ne rentre pas dans les comptes des entreprises, notamment les grosses PME ?

Un signal fort

Il faudrait aussi mesurer l’impact de la réforme sur l’éventuelle réduction du nombre des expatriations fiscales. Mais là encore, du fait de statistiques peu fiables la mesure reste impossible. Est-ce que la transformation de l’ISF en IFI est susceptible de faire revenir ceux qui sont partis en Belgique ou ailleurs ? La réponse est non, car vu l’instabilité fiscale qui entoure la réforme en question, on ne voit pas très bien revenir ceux qui sont partis. En revenant ils risqueraient de devoir payer dans quelques années un ISF rénové.

Outre que deux ans, est un laps de temps insuffisant pour évaluer une telle réforme qui ne peut s’apprécier qu’à long terme, l’évaluation ne peut se faire que par rapport à l’attractivité fiscale de la France. On le sait, la France détient le record, parmi les pays de l’OCDE, de l’imposition des ménages et notamment de la fiscalité du capital.

Comme le souligne le rapport du think tank, avant la réforme la fiscalité du capital était très lourde «à près de 11 points de PIB, elle était 2,5 points supérieure à la moyenne des pays européens». Avec sa réforme, le président Macron a voulu envoyer un signal fort à l’intention de Français, mais également des étrangers, sur la réorientation de notre fiscalité qui faisait de la France un cas particulier. C’est à cette aune-là qu’il faut évaluer la réforme de l’ISF. L’ISF était un symbole, très lourd politiquement, mais comme tout symbole son impact est davantage dans les esprits que dans les chiffres de la macroéconomie.

Michel Albouy est professeur de finance à Grenoble école de management.

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