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Emmanuel Macron a-t-il fermé 17 600 lits d’hôpital en quatre ans, comme l’affirme François Ruffin ?

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Dans le sillage de la baisse continue du nombre de lits que la France connaît depuis deux décennies, les hôpitaux ont perdu près de 18 000 places depuis 2017.
par Elsa de La Roche Saint-André
publié le 24 décembre 2021 à 8h21
Question posée par Odette le 20 décembre 2021.

Bonjour,

«En quatre ans, Macron a fermé 17 600 lits. Ils veulent tuer l’hôpital.» C’est le message posté par le député La France insoumise (LFI) de Picardie, François Ruffin, sur son compte Twitter, le 10 décembre. Le tweet s’accompagne d’une infographie faisant état de 4 300 lits d’hôpital fermés en 2017, 4 200 en 2018, 3 400 en 2019 et 5 700 en 2020, ce qui aboutirait à ce total de 17 600 sur ces quatre années.

Ces chiffres, largement repris par les médias, sont issus de la Statistique annuelle des établissements de santé (SAE), une enquête administrative «exhaustive» et «obligatoire» réalisée chaque année par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). A cette occasion, l’ensemble des établissements de santé français (publics, privés à but non lucratif, et privés à but lucratif) sont sollicités pour fournir «des informations sur leur activité, leurs capacités, leurs équipements, et leurs personnels médicaux et non médicaux».

Une diminution de plus de 4% des lits

Au début de l’automne, la Drees publie alors un rapport faisant état des premiers résultats de l’enquête (cliquer ici pour accéder aux versions des quatre années citées par François Ruffin : 2017 ; 2018 ; 2019 ; 2020) et intégrant notamment une estimation du nombre de lits d’hôpitaux disponibles. L’été suivant, son ouvrage sur «Les établissements de santé» vient réactualiser ces estimations, en fournissant, avec un décalage de deux ans, des données définitives : l’édition 2019 contient le nombre de lits d’hôpitaux disponibles établi pour l’année 2017, celle de 2020 pour l’année 2018, et ainsi de suite (les éditions des trois dernières années : 2019 ; 2020 ; 2021). De ce fait, «il faut tenir compte des révisions successives, que la Drees intègre au fur et à mesure dans ses publications», explique l’organisme public à CheckNews. Il faudra donc attendre l’édition 2022, qui paraîtra en juillet prochain, pour avoir des «chiffres révisés» s’agissant de l’année 2020.

Selon ces ouvrages, le nombre de lits d’hospitalisation complète, ou hospitalisation à temps complet (lorsque le patient passe au minimum une nuit à l’hôpital), s’élevait en 2017 à 399 866 lits, en 2018 à 395 701, et en 2019 à 392 593. Les chiffres 2020 n’ayant pas encore été révisés, on ne dispose à ce jour que d’une estimation, à hauteur de 386 835 lits.

Ces données, compilées dans un tableau par CheckNews (voir ci-dessous), font apparaître quelques inexactitudes dans les chiffres cités par François Ruffin concernant les années 2017 et 2019. In fine, le total de lits fermés évoqué par le député LFI est un peu en deçà de la réalité, puisque pour l’instant, il s’élève à environ 17 900 lits en moins en 2020 par rapport au total d’il y a quatre ans (404 785 lits d’hospitalisation complète recensés en 2016). Soit une diminution d’environ 4,4% sur cette période. Sachant, comme évoqué plus haut, que le total des fermetures pourra légèrement évoluer en fonction des révisions à venir.

75 000 fermetures en seize ans

Si ces suppressions de lits sont survenues au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a démarré le 14 mai 2017, peut-on pour autant en attribuer d’office la responsabilité à l’actuel président de la République ? Soulignons d’abord qu’elles s’inscrivent dans un mouvement plus général de réduction du nombre de lits d’hospitalisation complète. Dans son édition 2021 de l’ouvrage «Les établissements de santé», la Drees souligne ainsi qu’«entre 2003 et 2019, le nombre de lits d’hospitalisation complète installés, tous établissements, toutes disciplines et tous secteurs confondus, est passé de 468 000 à 393 000» (arrondis à mille lits près). Ce qui représente une décrue globale du nombre de lits de l’ordre de 75 000, ou, en proportion, d’environ 16%, en seize années où se sont succédé quatre présidents différents. «La fermeture de ces lits s’est effectuée à un rythme assez régulier et concerne la quasi-totalité des disciplines», précise la Drees.

Cette tendance à la réduction du nombre de lits n’est donc pas nouvelle, et pointée du doigt de longue date par les professionnels de santé exerçant dans ces établissements. Au point qu’en octobre 2020, dans son avis «L’hôpital au service du droit à la santé», le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a demandé «un moratoire sur les fermetures de lits» dans l’attente d’une évaluation des besoins exprimés par les territoires.

Durant le Ségur de la santé, en juillet 2020, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait annoncé que l’Etat financerait une enveloppe de 50 millions d’euros afin d’ouvrir 4 000 lits «à la demande». «Nous en avons fini avec le dogme de la fermeture de lits», a-t-il assuré fin octobre, alors interviewé par Libération. Avant d’ajouter : «On prend le problème à bras-le-corps mais on paye trente ans d’incurie.»

L’ambulatoire, «priorité nationale»

Première raison pour expliquer ces fermetures, estime la Drees : «La volonté de supprimer des lits excédentaires et de réorganiser l’offre.» De fait, elles traduiraient «l’évolution structurelle des formes de prise en charge, qui se tournent de plus en plus vers des alternatives à l’hospitalisation complète», c’est-à-dire vers l’hospitalisation partielle, plus connue sous le nom de «chirurgie ambulatoire».

La Drees détaille : «Depuis la seconde moitié des années 80, des innovations technologiques médicales et médicamenteuses, notamment en anesthésie, ont transformé les modes de prise en charge en faveur de l’hospitalisation partielle.» Aujourd’hui, «les capacités totales d’hospitalisation partielle atteignent ainsi 79 000 places en 2019, soit 29 000 de plus qu’en 2003», relève ainsi la direction centrale chargée des statistiques.

«La chirurgie ambulatoire, hospitalisation de moins de douze heures sans hébergement de nuit, est une priorité nationale et constitue un levier majeur d’optimisation de l’offre de soins, écrivait la Haute Autorité de santé (HAS) dans un article publié en janvier. Les pouvoirs publics soutiennent le développement de la prise en charge sans nuitée afin d’aboutir en 2022 à une pratique ambulatoire majoritaire de 70%.» Néanmoins, l’atteinte de ce taux cible ministériel paraît fortement compromise, dans la mesure où, d’après les calculs de l’Association française de chirurgie ambulatoire (Afca), le taux de chirurgie ambulatoire s’établissait en 2020 à seulement 58,61%, après 58,54% en 2019. Une croissance lente, ralentie qui plus est par la pandémie.

Absentéisme et démissions

Les facteurs expliquant que le nombre de lits d’hospitalisation complète ait continué à se réduire, et se soit même davantage réduit durant la crise sanitaire (-5 700 en 2020) sont donc à trouver ailleurs. Toujours dans la publication de 2021 de la Drees, celle-ci évoque les «contraintes de personnel empêchant de maintenir les lits».

Un argument également avancé par Olivier Véran lors de l’entretien récemment accordé à Libération pour justifier les fermetures en 2021. Dans son avis du 5 octobre, le conseil scientifique rendait en effet compte des résultats de son enquête flash, mettant en lumière, parmi les lits censés être ouverts, «un pourcentage important de lits fermés, chiffré à environ 20%», ainsi qu’«un grand nombre d’emplois vacants».

«Il y a un certain nombre d’unités dans des hôpitaux qui sont obligées de fermer temporairement, ou de réduire la voilure, faute de soignants, faute surtout de pouvoir en recruter», nous confiait le ministre, qui notait également une augmentation de l’absentéisme et des démissions, dans des proportions néanmoins «modérées». «Certains soignants quittent l’hôpital parce qu’ils sont fatigués après vingt mois de crise sanitaire. Ces départs peuvent mettre en difficulté des équipes, des services parce que les recrutements sont aussi difficiles», reconnaissait-il.

Le 20 octobre, la Fédération hospitalière de France (FHF) faisait état, de son côté, d’«un taux d’absentéisme de l’ordre de 10%» et de «2 à5 % de postes vacants de soignants» au sein des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics. «Dès lors, la solution la plus pérenne, c’est d’augmenter le nombre de médecins en formation», en rendant ces professions plus attractives, tranchait Olivier Véran.

Fortes variations en 2020

En plus de renforcer les pénuries de personnels dans les hôpitaux, la crise a aussi recentré les moyens hospitaliers sur l’afflux de patients atteints de Covid-19 à gérer. Cette nouvelle urgence a donné lieu à un nombre important de déprogrammations de soins et opérations. «Certains établissements ont été contraints, temporairement, de ne plus accepter de patients dans plusieurs de leurs services d’hospitalisation pour dégager des moyens en personnel à affecter aux services de soins critiques», note ainsi la Drees dans son rapport sur les premiers résultats de l’enquête SAE 2020.

Cette dernière relève d’ailleurs qu’«à rebours des capacités d’accueil totales en hospitalisation complète, le nombre de lits de soins critiques (réanimation, soins intensifs et surveillance continue), très sollicités pendant l’épidémie de Covid-19, a augmenté de 3,6% entre fin 2019 et fin 2020. En particulier, la capacité d’accueil en réanimation a progressé de 14,5%.»

Enfin, précise la Drees, «le nombre de lits a connu de fortes variations au cours de l’année 2020, au gré des vagues épidémiques, ce que la SAE ne permet pas de retracer car elle décompte uniquement le nombre de lits au 31 décembre de chaque année». Certains lits fermés ne le sont pas de manière définitive. Par exemple, «pour limiter la contagion, de nombreuses chambres doubles ont été transformées en chambres simples, réduisant là aussi le nombre de lits d’hospitalisation complète disponibles en fin d’année». Si le bilan de 5 700 suppressions pour l’année reflète bien une tendance, il est donc à manier avec prudence, en raison du contexte inédit dans lequel il s’inscrit.

Logique comptable

A l’arrivée, le cumul du développement de l’ambulatoire, du manque de personnel, auxquels il faut ajouter les circonstances particulières liées à la pandémie de Covid-19, a donc joué pour une grande part dans les fermetures de lits. Reste que les établissements de santé sont aussi confrontés à des problèmes de financement.

Financés à 90% par la sécurité sociale, via le système de tarification à l’acte généralisé en 2004, ces établissements dépendent pour fonctionner du budget qui est attribué à la branche maladie. Or, son montant résulte lui-même, et en partie, de choix politiques opérés par les pouvoirs publics.

CheckNews a épluché les études d’impact réalisées en amont de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de ces dernières années. Aucune ne fait référence à un objectif en termes de fermetures ou au contraire de maintiens de lits d’hospitalisation complète. En revanche, un objectif de réduction des dépenses dans les hôpitaux à hauteur de plusieurs millions d’euros était systématiquement fixé dans les PLFSS de ces dernières années, ainsi que dans ceux adoptés sous les présidences de François Hollande et Nicolas Sarkozy. En 2019, le texte prévoyait même un milliard d’euros d’économies. Seuls les projets adoptés après le début de la crise sanitaire font exception.

«On demande à l’hôpital de réduire ses dépenses, de réduire son budget alors que la population augmente et vieillit», regrettait en avril Nathalie Coutinet, économiste de la santé interrogée par France culture. Pressés par les plans d’économies, les établissements de santé procèdent inévitablement à des suppressions de lits. Or, comme l’exprimait en septembre Marc Leone, chef du service d’anesthésie et de réanimation à l’hôpital Nord de Marseille, auprès de Marianne, lorsque «les fermetures se font sur une simple logique comptable, c’est là qu’elles sont problématiques pour les patients».

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